Alphabet poétique

A
Comme AMOUR

L’acte d'Amour et l'acte de Poésie
Sont incompatibles
Avec la lecture du journal à haute voix.

André BRETON  - Sur la route de San Romano (1948)

B
Comme BEAULX

Beaulx enfants, vous perdrez la plus
Belle rose de vo chapeau ;
Mes clercs près prenant comme glus,
Se vous allez à Montpipeau
Ou à Ruel, gardez la peau ;
Car, pour s'ébattre en ces deux lieux,
Cuidant que vausist le rapeau,
Le perdit Colin de Cayeux

François VILLON  - Belle Leçon aux enfants perdus (vers 1457/1461)

C
Comme COLOMBES

Dans Arles où sont  les Aliscams,
Quand l'ombre est rouge, sous les roses,
Et clair de temps ?
Prends garde à la douceur des choses.
Lorsque tu sens battre sans cause
Ton cœur trop lourd,
Et que se taisent les colombes :
Parle tout bas, si c'est d'amour,
Au bord des tombes

Paul-Jean TOULET - Chansons (1920)

D
      Comme DEBARCADERE - A Louis Aragon -

«Un peu avant minuit près du débarcadère
Si une femme échevelée te suit n'y prends pas garde.
C’est l'Azur. Tu n'as rien à craindre de l'Azur

André BRETON  - Clair de Terre (1923)

E
Comme  ESTAMPES

Pour l'enfant amoureux de cartes et d'estampes,
L’univers est égal, à son vaste appétit.
Ah ! Que le monde est grand à la clarté des lampes !
Aux yeux du souvenir que le monde est petit !

Charles BEAUDELAIRE  Le Voyage (1859)

F
Comme FRANCE

«FRANCE, mère des arts, des armes et des loix,
Tu m'as nourry long temps du laict de ta mamelle :
Ores, comme un aigneau que sa nourrisse appelle,
Je remplis de ton nom les antres et les bois.

Joachim DU BELLAY - Les Regrets (1558)

G
Comme GROSEILLES

Aux branches claires des tilleuls
Meurt un maladif hallali.
Mais des chansons spirituelles
Voltigent partout des groseilles.

Arthur RIMBAUD  (Mai 1872)

H
Comme HISTRION

Toutes les passions s'éloignent avec l'âge,
L’une emportant son masque et l'autre son couteau,
Comme un essaim chantant d'histrions en voyage,
Dont le groupe décroît derrière le coteau.

Victor HUGO - Les rayons et les Ombres (1840)

I
Comme ISRAEL

Quand sera le voile arraché
Qui sur tout l'univers jette une nuit si sombre ?
Dieu d'Israël, dissipe enfin cette ombre :
Jusqu'à quand seras-tu caché ?

Jean RACINE  - Esther (1689)

J
Comme JURANCON 

Un Jurançon 93
Aux couleurs du maïs,
Et ma mie, et l'air du pays :
Que mon cœur était aise.
Ah, les vignes de Jurançon
se sont-elles fanées
Comme ont fait mes belles années,
Et mon bel échanson ?

Paul-Jean TOULET - Les Contrerimes (1920)

K
Comme KREMLIN

Le Kremlin était comme un immense gâteau tartare
Croustillé d'or,
Avec les grandes amandes
Des cathédrales toutes blanches
Et l'or mielleux des cloches…

Blaise CENDRARS
La Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France (1913)

L
Comme LIVRES

J’aime le jeu, l'amour, les livres, la musique,
La ville, la campagne, enfin tout ;
Il n'est rien
Qui me soit souverain bien,
Jusqu'au sombre plaisir d'un cœur mélancolique

Jean DE LA FONTAINE - Psyché

M
Comme MER 

Et la mer et l'amour ont l'amer pour partage,
Et la mer est amère, et l'amour est amer,
L’on s'abime en amour aussi bien qu'en la mer,
Car la la mer et l'amour ne sont point sans orage.

Pierre DE MARBEUF - Recueil de Vers 

N
Comme NOISETIERS

Loin des oiseaux, des troupeaux, des villageoises,
Je buvais, accroupi dans quelque bruyère
entourée de tendres bois de noisetiers,
Par un brouillard d'après-midi tendre et vert.

Arthur RIMBAUD (Mai 1872)

O
Comme ODEUR 

J’ai cueilli ce brin de bruyère
L’automne est morte souviens-t-en
Nous ne nous verrons plus sur cette terre
Odeur du temps brin de bruyère
Et souviens toi que je t'attends

Guillaume APPOLLINAIRE  - Alcools (1918)

P
Comme PROUST
PROUST à quels raouts, allez-vous donc la nuit
Pour en revenir avec des yeux si las et si lucides ?
Quelles frayeurs à nous interdites avez-vous connues
Pour en revenir si indulgent et si bon
Et sachant les travaux des âmes
Et ce qui se passe dans les maisons
Et que l'amour fait si mal ?

Paul MORAND - Lampes à arc (1920)

Q
Comme QUAIS

Mon Dieu ram'nez moi dans ma belle enfance
Quartier Saint-François, au bassin du roi.
Mon Dieu rendez-moi, un peu d'innocence
Et l'odeur des quais quand il faisait si froid.
Faites-moi revoir les neiges exquises
La pluie sur Sanvic qui luit sur les toits,
La ronde des goss's autour de l'église
Mon premier baiser sur les chevaux d'bois.

Pierre MAC ORLAN - Chansons pour accordéon (1953)

R
Comme REVEUSE

O rêveuse, pour qui je plonge
Au pur délice sans chemin,
Sache par un subtil mensonge,
Garder mon aile dans ta main

Stéphane MALLARME - Autres poèmes (1887)

S
Comme SEINE

C’est le temps de la ville.
Oh ! lorsque l'an dernier
J’y revins, que je vis ce bon Louvre et son dôme,
Paris et sa fumée, et tout ce beau royaume
(j'entends encore au vent les postillons crier).
Que j'aimais, ce temps gris, ces passants et la Seine
Sous ses mille falots assise en souveraine !
J’allais revoir l'hiver – et toi, ma vie, et toi !

Alfred DE MUSSET  - Premières Poésies (1830)

T
  Comme TENEBREUX

Je suis le ténébreux, le veuf, l'inconsolé,
Le Prince d'Aquitaine à la tour abolie :
Ma seule étoile est morte,
Et mon luth constellé
Porte le soleil noir de la mélancolie.

Gérard DE NERVAL - El desdichado (1853)

U
Comme UR 

Tout reposait dans Ur et dans Jerimadeth ;
Les astres émaillaient le ciel profond et sombre ;
Le croissant fin et clair parmi ces fleurs de l'ombre
Brillait à l'occident, et Ruth se demandait,
Immobile ouvrant l'œil à moitié sous ses voiles,
Quel Dieu, quel moissonneur de l'éternel été
Avait en s'en allant, négligemment jeté
Cette faucille d'or dans le champ des étoiles.

Victor HUGO - La légende des Siècles (1859)

V
Comme VIN 

Versons ces roses près de ce vin,
Près de ce vin versons ces roses,
Et boyvon l'un l'autre, afin
Qu’au cœur nos tristesses encloses
Prennent en boyvant quelques fin

Pierre DE RONSARD - Livre IV des Amours (1550)

W
Comme WAGON 

«Prêtez-moi, o Orient Express,
Sus Brenner Bahn, prêtez-moi
Vos miraculeux bruits sourds et 
Vos vibrantes voix de chanterelle ;
Prêtez-moi la respiration légère et facile
Des locomotives hautes minces, aux mouvements
Si aisés, les locomotives de rapides,
Précédant sans effort quatre wagons jaunes à lettres d'or
Dans les lotitudes montagnardes de la Serbie,
Et plus loin, à travers la Bulgarie pleine de roses…

Valery LARBAUD - Poèmes pour un riche armateur (1908)

X
Comme XANTE 

Anna Piccola de Hore
La femme du Consul de Xante
A de beaux miroirs couchants
De grands chiens bleus de Suède
Anna Piccola de Hore
La femme du Consul de Xante
A onze flambeaux d'argent
Qui s'allongent sous la lune.

Louis FOUCHER - Anna de Hore (1955)


Y
Comme YEUX
Tes yeux sont revenus d'un pays arbitraire
Ou nul n'a jamais su ce que c'est un regard
Ni connu la beauté des yeux ? Beauté des pierres
Celle des gouttes d'eau, des perles en placards…

Paul ELUARD - Capitale de la douleur (1926)


Z
Comme ZEPPELINS 

Et prends bien garde aux zeppelins
Aux Zeppelins de toute sorte
Ceux des Boches sont pas malins
Ceux des Français sont bien plus pleins.
Et prends bien garde aux zeppelins
Chaque officier français en porte.

Guillaume APPOLLINAIRE -  Poèmes à Lou (1915)



Textes réunis par Jeanine, avril 2020