Autrefois, me disaient mes parents, il n'y avait ici, dans ce quartier de Socoa, que des arbres, des pins parasols magnifiques, qui s'étendaient depuis la falaise jusqu'à la grève qu'on appelait pas encore "plage". Bien souvent à cette époque tout était calme, ensommeillé, habité seulement par les écureuils et de nombreuses variétés d'oiseaux autres que les mouettes. Comme les hommes devenaient de plus en plus nombreux, les Ziburutar eurent besoin de se construire des maisons, puis de copier leurs grandes sœurs, Biarritz et Saint-Jean-de-Luz, et de sacrifier leur tranquillité à la mode des bains de mer, déjà bien présents depuis le début du XXe siècle, sur les littoraux français.
Dès le début des années 1950, des travaux gigantesques furent entrepris, les arbres arrachés, les marais asséchés, les rivières étouffés, de nouveaux chemins tracés. Et un beau jour, ou plutôt un sinistre jour, ils ont commencé à grignoter sur le petit bois de pins, qui ne demandait rien à personne, pour y construire des résidences de vacances, grands immeubles constitués de F2 ou F3, ouverts seulement quelques semaines par an et qui n'étaient pas faits, pour les jeunes de la population locale, qui cherchaient vainement des logements.
Finalement, le tout petit village de pêcheur qui vivait sereinement, se transforma en une station, animée de Pâques à la Toussaint, avec un surcroît de visiteurs en juillet et août. Gardiens de l'écologie, des amis de mes parents, n'arrivaient pas à se faire entendre, se faisant traiter de rétrogrades. Hôteliers, restaurants, bars, commerces divers, loueurs d'appartements, applaudissaient ces installations très lucratives pour leurs activités. Indiscutablement les motivations n'étaient pas les mêmes pour tout le monde.
J'ai toujours connu Socoa sous son aspect actuel et à part quelques réalisations peu esthétiques, l'ensemble n'est pas désagréable. Kairatu (accoster) au pied de la digue, où s'amarre le petit bateau, transportant les passagers de Saint-Jean à Socoa, afin d'éviter en été les embouteillages, fait partie des moments de bien-être.
Laisser aux citadins, la possibilité de venir profiter pendant quelques jours de la beauté de notre région "itsas-mendi" (mer et montagne) afin de leur faire oublier les affres de la ville, le stress des transports en commun et sans doute bien d'autres choses, c'est partager ce que nous avons la chance de posséder. Maintenant tout le monde à oublier les querelles d'antan, la jeune génération bénéficie de toutes les installations nautiques, de la plage et de maintes autres attractions. Non seulement la jeunesse profite de tous ses loisirs, mais la suractivité de l'été permet à beaucoup d'étudiants de trouver des emplois saisonniers, un plus pour financer une partie de leurs études.
Où se trouve l'équilibre entre ce qu'il faut faire et s'arrêter de faire ?
Peu à peu de nouveaux promoteurs, plus sages que leurs anciens, ont fait naitre des petits quartiers, aux immeubles à dimension humaine, destinés aux jeunes ménages ou retraités, natifs ou adoptés par les Socotars, avec des espaces verts, des aires de jeux pour les enfants, des pistes cyclables, des promenades le long de la rivière. Que de bons moments à vivre, seul ou avec des amis, à croiser des randonneurs, des groupes d'enfants, des surfeurs, des couples âgés se promenant main dans la main, des fans de la bronzette et du farniente. Retrouver des joies simples, emprunter le chemin du littoral, où toute construction est interdite et partir à la découverte de petites plages sauvages peu fréquentées. Savourer, les bienfaits du soleil, rêver au clair de lune sous les étoiles, assis sur des rochers ou sur la plage, en ayant pour seul horizon, l'océan, l'océan à l'infini. Tout cela on peut encore en profiter, si chacun d'entre nous respecte cet environnement, sans jeter des canettes vides à terre, ou des bouteilles plastiques et même des mégots. Une prise de conscience se fait jour, interdisant les plages aux fumeurs, mettant à disposition des promeneurs, à de très nombreux endroits, des réceptacles à déchets.
Voilà, comme chaque fin d'après-midi, au printemps et à l'automne, lorsque les estivants ne sont pas encore arrivés ou sont déjà partis, nous prenons une petite route, en contrebas de la route principale bruyante et encombrée, pour rejoindre le petit club nautique, le petit port de pêche, et nous promener sur la digue, au pied du fort, œuvre de Vauban, qui s'élève fièrement au-dessus de la mer.
Walter est à mes côtés me contant inlassablement ses performances de surfeur. Xavier en compagnie de Chloé, marchent quelques pas derrière nous. Yvan a déjà regagné la plage et nous fait de grands signes pour que nous le rejoignons. Zut, en me précipitant à sa rencontre, je glisse dans le sable et me foule la cheville.
© Jeanine, 19 avril 2020