Il est 8h12, j’ouvre un œil.
Ne pas faire de bruit, ne pas la déranger, ne pas la réveiller. Je me lève.
Je n’ai pas très bien dormi.
Hier, le président a dit «… maintenant, c’est hors de question les accolades, il ne faut pas prendre ça à la rigolade. Le temps est fini où l’on pouvait sans crainte s’enlacer … ne pas s’inquiéter et chez nous rester … »
Mon index exerce une pression sur le on/off du poste radio. Instantanément, les mots prennent place, se bousculent dans le volume de la pièce et dans celui de ma tête.
Pression sur le on/off, comme Stéphane, je veux déjeuner en paix !
Je n’ai pas très faim, je sens que le temps se suspend, je m’interroge. Il est dit qu’il n’y a plus de nouilles, que c’est la course aux courses, que notre postérieur de papier allait manquer.
Mon Dieu, mon Dieu ! Que se passe t-il ?
Bien décidé à ne pas céder à cette psychose, me voilà avec la ferme intention de percer ce mystère, de me donner, sur cette affaire, plus de lumière.
Dans la salle de bain, j’élabore un plan : Aller au pain et ensuite au supermarché. Non, aller seulement au supermarché, c’est la stratégie retenue, je suis paré. J’auto colle sur la table de cuisine un carré de papier jaune avec ces mots : « Chérie, j’ai fait une liste, je pars en courses »
Me voilà parti, bien déterminé à y voir plus clair.
Je l’aperçois déjà. On le voit de loin, c’est un de ces temples de la consommation, surmonté de son majuscule « U » coquelicot.
J’y suis. Empoignant fermement mon caddie des deux mains, je prends la direction d’un des rayons incriminés, les pâtes. Arrivé en son premier mètre je me stoppe net, bouche bée, ahuri à la vision d’un vide abyssal. Pas de paquets, personne, plus rien !
Absentes les Farfalles, disparus les Macaronis, envolées les Coquillettes, volatilisés mes Spaghettis N°3 … Mes mains deviennent moites, un frisson me parcourt le dos.
Il ne me faut pas céder à l’impact du choc. Je me ressaisi en gérant mon souffle, façon Christophe André comme il l’a écrit dans mon cadeau d’anniversaire, son livre… expiration/inspiration … expiration/inspiration …
Je reprends le dessus et choisi de prendre du recul en m’avançant, de manière détachée, du genre papillonner jusqu’au rayon rouleaux papiers molletonnés.
Là, il y a de la vie, je l’entends, je l’entends très bien même !
Il y a de la vie, je la vois, je la vois très bien même ! C’est abominable, le ciel me tombe sur la tête, c’est l’apocalypse. Ca se chamaille, ça se pousse, ça s’engueule, ça se bourre à coup de caddies ! Ils sont en meute après une palette de rouleaux fraichement débarquée.
Mon sang ne fait qu’un tour, il me faut un paquet, c’est sur ma liste. Je ne peux que laisser parler mon instinct sauvage et décide de montrer les dents …
Le paquet au fond du sac, j’ouvre la porte de chez moi, le stress au ventre, le traumatisme à fleur de peau. Un seul cri sort de ma gorge serrée : « Chérie ! Tu es là? »
Je lui ai dit, les pâtes et les linéaires dévalisés. Je lui ai dit, pour avoir de quoi les fesses s’essuyer, il m’avait fallu batailler. Je lui ai dit les gens et leurs regards paniqués ...
De ses mots elle a su me rassurer, de ses bras elle à su m’apaiser. Elle venait de prendre sa douche, elle sentait bon le muguet.
Elle avait dû exercer une pression sur le on/off du poste radio. Laurent Voulzy était dans la cuisine avec son pouvoir des fleurs …
Zut ! J’ai oublié de prendre mon antihistaminique …
© Thierry
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