COURAGE FUYONS (suite)

Le médecin était là, au pied de son lit, souriant, apparemment décontracté. Mais lui, restait tétanisé, muet, incrédule. Pour l'instant impossible de prononcer un seul mot. 
Peu de temps après une infirmière arriva. Elle changea sa perfusion et lui expliqua, que ce traitement était fait pour le nourrir et l'hydrater. De plus plusieurs fois par jour on lui faisait une piqure intraveineuse de quinine. Elle s'assit auprès de son lit et lui conta avec douceur ce qui lui était arrivé.

- Il avait eu un malaise dans un bar du port et les personnes présentes les avaient immédiatement alertés. Nous sommes une ONG et disposons d'un dispensaire avec quelques lits. Comme nous n'avons trouvé aucune pièce d'identité dans vos affaires et que vous aviez un bracelet vert au poignet, nous ne vous avons pas conduit à l'hôpital. Nous sommes prêts à répondre à toutes vos questions et un de nos médecins vous donnera tous les renseignements nécessaires sur votre état de santé et le suivi de votre traitement. Pour l'instant vous devez reprendre des forces afin de retrouver votre autonomie.

Son mutisme demeurait mais il prononça un léger merci.
Quelques heures après, un autre médecin lui rendit visite.
- Vous avez de la chance, votre malaria a été immédiatement diagnostiquée. Nous sommes spécialisés dans cette maladie car fréquente dans ces pays. Nous avons pu enrayer la propagation de l'infection donc vous n'aurez pas de séquelles graves. Lorsque vous serez guéri, il vous faudra cependant suivre, à vie, un léger traitement, un peu plus sérieux lorsque vous aurez des crises de paludisme. 
Le médecin continua en donnant des précisions, des conseils etc.
Là encore, il ne put poser aucune question et murmura un faible merci.

A présent, il était bien éveillé et songeait à sa situation.
Depuis son départ d'Europe, tout allait à vau-l'eau
Il suivit le programme instauré par les soignants.
Il reprit des forces quitta sa chambre de soins et s'installa dans une chambre, libre pour l'instant, mais normalement occupée par un membre de l'ONG.  
Les premiers jours il resta confiné dans le centre puis peu à peu il s'aventura plus loin.
Il se rendit jusqu'au bord du fleuve toujours aussi majestueux, aux eaux tumultueuses et boueuses. 

De sombres idées lui trottaient dans la tête.
S'approcher un peu plus du bord, un petit plouf et il se laisserait engloutir, en espérant que les flots ne l'entrainent pas dans l'enchevêtrement des mangroves bien présentes en amont.

Le reste du temps il observait d'un air détaché les différentes occupations des personnes du centre. Ces personnes étaient en majorité du personnel soignant mais également des animateurs.  La moitié des intervenants étaient d'origine européenne, l'autre moitié d'origine africaine.

Il savait qu'à portée d'un vol d'oiseau existait une ville portuaire importante, moderne, semblable aux grandes villes européennes. Aucune envie de s'y aventurer. La richesse de cette ville s'était faite grâce au port avec le développement de nombreuses entreprises d'import-export.

Comme toute grande ville, elle était entourée, de quartiers périphériques où logeaient, dans des petites maisonnettes en dur, des familles d'employés divers. Ce n'était pas la misère, mais il n'était pas toujours évident de "joindre les deux bouts". Souvent un seul salaire, beaucoup d'enfants, couvertures familiales et sociales, pratiquement inexistantes. Les ONG étaient là pour pallier ce manque et c'était le cas de celle où il avait atterri. Le premier objectif était de prodiguer des soins gratuits.

Les animateurs se chargeaient d'organiser des activités diverses, destinées aux femmes et aux enfants. Les hommes par manque de temps et fatigués par leur journée de travail ne venaient au centre que s'ils avaient un petit mal à soigner.

Le climat était pour lui très difficile à supporter. Chaleur humide, accablante qui collait à la peau. Il rêvait d'une oasis, à la chaleur sèche, où il ferait bon de se prélasser à l'ombre des palmiers.

Il avait peu d'appétit et seule l'eau spitante le rafraichissait et l'apaisait.
Au bout de quelques semaines, quand il sentit que son état s'améliorait, son regard devint plus observateur.
Sa conscience commençait à le démanger. Allai-t-il continuer longtemps à vivre au crochet des ces personnes dévouées et qui ne lui demandaient rien ?

Il proposa ses services pour s'occuper de différentes tâches administratives. Ce fut accepté de bon cœur. Au fur et à mesure qu'il se concentrait sur cette activité, il se repliait moins sur lui-même et ne passait plus tout son temps à se lamenter, intérieurement, sur sa petite personne. 

La saison des pluies arriva et des ondées, courtes, brutales, s'abattaient subitement. Elles n'apportaient aucune fraîcheur et laissaient la peau poisseuse. 
Dans les rues non asphaltées situées dans le périphérique de la ville l'eau trop fluide, ruisselait amassant de la boue de terre rouge.

La fin de l'année arriva et il décida de s'investir totalement dans l'association.
En Europe la situation était redevenue presque normale, sauf la crise économique mondiale qui n'épargnait personne.

Grâce aux responsables de l'ONG, il avait pu récupérer son passeport et se libérer de son bracelet. Il prit contact avec son notaire, liquida tous les biens qu'il possédait, rapatria ses comptes bancaires. Nourri, logé, avec un minimum de faux frais il n'avait pas de soucis pour l'avenir. Ses nouvelles fonctions lui permettaient d'être un acteur à part entière et il aurait pu prétendre à un petit revenu mais il refusa. Il avait conscience que des êtres compétents lui avaient sauvé la vie, sans jamais lui poser de questions sur son passé et le pourquoi de sa venue en Afrique. 

Il avait une nouvelle perception de la valeur des personnes et des choses.
Souvent il pensait à ses amis qu'il avait laissés sans donner aucune nouvelle et le souvenir de ceux-ci lui donna des idées. Toutes les aides apportées aux habitants du quartier étaient d'ordre matériel, et il pensait à développer des activité d'ordre culturel.

Qu'auraient fait ses amis ?
Patrick, aurait organisé un petit atelier d'écriture. Il aurait évité de donner comme exemple "Le tri sélectif", les anciens dans ces régions, continuant à être respectés, voir vénérés. Pas non plus question, d'évoquer "Nuit blanche, nuit noire". Non, simplement il leur aurait appris à utiliser les mots justes, les bonnes tournures de phrases, respecter un plan, un suivi dans les idées, tout en laissant vagabonder son imagination.

   Michelle, se serait régalée en animant un club de lecture. Elle aurait abandonnée Christian Bobin, se le réservant pour ses méditations personnelles. Toutes les jeunes femmes et même les moins jeunes, étaient allées à l'école, au moins jusqu'en troisième. Après il avait fallu travailler. Souvent elles s'étaient mariées jeunes, avaient beaucoup d'enfants. Certaines prenaient plaisir à emprunter les quelques livres présents dans la bibliothèque du centre. Michelle leur aurait fait découvrir la littérature africaine, riche et vaste. Parler de leur ressenti à la lecture de ces ouvrages auraient été des plus gratifiantes. 

Quelques enfants donnaient du fil à retordre. Leurs penchants les faisaient glisser sur une mauvaise pente. Influencés par des adultes nuisibles,  ils n'étaient pas toujours facile de les raisonner. Nadia, avec sa voix douce, son expérience pleine de bon sens, auraient su leur parler. Elle aurait même eu le droit d'évoquer Renaud, Goldman et pourquoi pas Georges Chelon, car rebelle ou pas, poète ou pas, réaliste ou pas, il y avait mille et une façon de s'affirmer.

Marie-Claire se serait imposée naturellement. Les enfants fréquentaient un collège de quartier. Ils apprenaient l'Anglais mais d'une façon très théorique donc insuffisante pour la vie de tous les jours. Il y avait ceux dont l'ambition étaient de poursuivre des études au lycée et ceux  qui savaient que demain, pour trouver un travail dans un hôtel ou un commerce au centre ville, la connaissance de l'Anglais, langue internationale, était incontournable. Avec sérieux et pédagogie, elle aurait mis son savoir à leur service

  La végétation était on ne peut plus luxuriante. Tout poussait vite, trop vite. Il était parfois difficile de maîtriser cette nature envahissante mais magnifique par sa profusion et ses couleurs. Hélène, n'aurait pas manqué de s'y intéresser. Elle aurait appris les noms de chaque variété. Puis, elle aurait expliqué que chaque fleur, chaque plante était différente de sa voisine. On devait leur porter beaucoup d'attention, leur parler, en prendre soin. 

Daniel, plus connu sous l'appellation d'Oncle Dan, aurait donné quelques cours de dessins, de peinture, essayant de découvrir des talents cachés.  Il leur aurait appris à donner du relief aux personnages, aux paysages, en en faisant ressortir des traits humoristiques ou poétiques. Dessiner, peindre, pourquoi pas. Réaliser des aquarelles auraient été difficiles, par manque de fournitures, trop onéreuses.   

Après ces élucubrations théoriques, il ne lui restait plus qu'à parler de ce projet à ses collègues. Pas question de se substituer à l'école ou à quelconque organisme. Comme pour les autres activités, ces ateliers seraient ouverts à ceux qui le désiraient. D'ailleurs, souvent seul un petit groupe de personnes participait. Le projet fut accepté. A lui de l'organiser au mieux et sans doute par étape.

Souvent, il continuait à marcher le long du fleuve sans aucune appréhension. Il s'était bien intégré dans ce nouvel environnement. Il avait de bonnes relations avec chacun de ces collègues mais il ne s'était pas vraiment fait d'ami. Il était resté secret sur son passé. Comment envisageait-il l'avenir ? Il savait qu'il ne resterait pas toujours ici. Une seule certitude, il ne retournerait pas en Europe. Peut-être choisirait-il un autre centre. L'ONG avec laquelle il faisait un bout de chemin, était importante. Elle était implantée dans différents coins du monde, et demain, il irait sans doute découvrir d'autres êtres humains, d'autres coutumes, d'autres  pays.  

Lui-même était devenu "un autre".

Il ressentait une grande paix intérieure et songea tout simplement que demain serait un autre jour. 


© Jeanine, avril 2020