Un rêve singulier

Estuaire est né un matin d’avril, il est dit qu’il glissa entre les cuisses de Garance, sa mère, comme un léger murmure. Cuisses qu’elle avait de bonne taille, étant d’un naturel plutôt gironde. Le père quant à lui n’attendit pas la naissance du fils pour prendre le large et mettre le cap sur d’autres rivages. La paternité ce n’était pas pour lui. Il avait en tête d’autres desseins, le temps n’était pas venu pour lui de cesser de s’amouracher. Dieu seul doit savoir pourquoi cet homme mal embouché remportait un franc succès auprès de ces Dames. Outre son caractère grossier il était peu enclin à la générosité, très peu de ses conquêtes purent se réjouir d’avoir reçu le moindre présent. Toutefois il eu la délicatesse, lui sembla t-il, de confier à Garance un bracelet venant de sa famille pour l’enfant à venir. Il est important disait-il de lui laisser une trace, « non mais un peu de savoir vivre tout de même, on n’est pas des sauvages ».
Estuaire fut élevé dans une certaine solitude. Voulant oublier ce qu’était un homme, sa mère se donna corps et âme à l’éducation de son petit. Ainsi Estuaire resta un garçon fragile, souvent confiné à la maison, il était d’apparence malingre, beaucoup le pensait malade. 
Longtemps il avait rêvé du grand air, son plus grand plaisir étant de regarder les feuilles des arbres depuis sa chambre à coucher. Certes il allait à l’école, mais Garance le gardait  près d’elle dès que survenait un moindre courant d’air, un refroidissement ou de trop grosses chaleurs.  Autant dire qu’il n’usa pas ses pantalons sur les bancs de la classe. Ainsi passa l’enfance avec un rêve plutôt singulier, celui de faire un herbier.  Rappelez-vous sa passion pour les feuilles. Trop peu d’essences dans le jardin, seuls un marronnier et un frêne trônaient aux abords de la maison. Aussi commença t-il à s’intéresser à l’arboriculture et la botanique. Sa mère ne comprenait pas cette passion et cette soif de savoir mais s’acquittait sans sourciller de lui acheter livres et cahiers, il y avait moins de risque à devenir savant qu’à parcourir le monde. L’adolescence s’écoula donc entre lectures et rêveries. Ensuite lui vint un goût prononcé pour la géographie, et germa doucement l’idée d’un ailleurs. 
Quand arriva l’âge de la majorité pour Estuaire, Garance se résolu enfin à donner le bracelet à son fils ; Il est important d’ajouter que celui-ci n’avait jusque là pas cherché à connaitre ses origines. Solitaire et taiseux, les dialogues avec sa mère s’attachaient à la seule évocation du quotidien. D’aucuns s’accordent à penser qu’il n’avait pas idée de la nécessité d’un père. Précisons toutefois qu’Estuaire conservait toute son intelligence mais était dirions nous doté d’une certaine étrangeté.
Le bracelet fut alors l’occasion d’une révélation. Dessus il était noté : Gisèle, mai 1960, Nice. Il s’agissait semble t-il du prénom de la grand-mère  de son géniteur, aujourd’hui décédée. Il savait, grâce à ses nombreuses lectures, que les citronniers étaient légion dans cette région.
C’est ainsi qu’après un sommeil agité Estuaire partit le 27 mars 2020 pour un tour de France, débutant par Nice, et ayant pour but la confection de l’herbier tant désiré. 
Pour cela il se mit en quête de bon matin à la sortie du village de trouver un covoiturage.

Garance s’en rendit malade, elle perdit toutes ses formes. De rage, elle décida de s’inscrire à « L’amour est dans le pré ».