L'Assemblée Générale

Les délégations étaient venues de monde entier pour l’assemblée générale. Les représentants de tous les continents convoqués pour la séance plénière s’installèrent en silence, dans un ordre parfait. Chaque délégué portait un badge désignant son secteur d’origine. Les Asiatiques étaient comme toujours les plus nombreux. 

L’immense salle était bondée, pleine à craquer, on s’entassait littéralement sur les sièges. Le programme chargé promettait  une séance longue qu’on espérait moins ennuyeuse qu’à l’accoutumée. Les derniers événements et les quelques anticipations  qui avaient  fuité laissaient augurer que les rapports établis  par les secrétaires des différents états  seraient à n’en pas douter beaucoup plus encourageants que ceux des dernières années. On était même, disait-on, à l’aube d’une ère nouvelle. Mais une certaine prudence se faisait jour dans l’assemblée car les résultats des sept derniers exercices n’avaient pas été à la hauteur des espérances. L’équipe dirigeante avait d’ailleurs été sévèrement malmenée. 

Le secrétaire général arriva sur la tribune, acclamé par tous  les délégués. 
Il remercia la foule de cet accueil et commença son discours. Il demanda d’abord que l’on respectât une minute de silence en l’honneur du plus ancien des membres de l’association qui venait de disparaître à plus de cent ans.

« Oui, notre vieux collègue espagnol était un peu notre maître à tous, un fidèle, droit et solide, je dirais même qu’il était notre ancêtre commun, le précurseur, celui qui nous a montré la route à suivre. Et grâce à lui, grâce à son activité et son dévouement  indéfectibles,  nous nous sommes engagés sur un chemin qui nous conduit de succès en succès. S’il vous plaît, rendons-lui  le plus vibrant hommage. »
La minute de silence fut respectée encore mieux que dans un stade anglais.

Ensuite on passa au rapport d’activité. Les différents secrétaires nationaux montèrent au pupitre, annonçant des chiffres de croissance absolument stupéfiants. Les premiers furent  les Européens : les Italiens furent acclamés comme il se doit : ils avaient été les plus incisifs : on vota même  une mention spéciale aux Lombards.  On récompensa aussi les Espagnols qui avaient su démontrer de réelles qualités d’adaptation, on applaudit les Belges pour leur travail dans l’ombre. Les Britanniques et les Français  furent acclamés pour avoir su rebondir quand la situation l’exigeait. Les Allemands obtinrent un simple succès d’estime, mais on ne pouvait dissimuler une certaine déception : on attendait mieux d’un grand pays. Quant aux autres Européens, ils passèrent un peu inaperçus devant l’ovation qui accueillit les Américains et les Brésiliens. Les deux délégués déclarèrent modestement qu’on leur avait facilité la tâche ce qui n’enlevait rien à la qualité de leur action. 

On fit passer rapidement les délégations africaines : on fit le constat qu’il y avait encore beaucoup de travail à accomplir dans ce continent pour atteindre des résultats un peu plus honorables. 

La soirée traînait en longueur et l’on commençait un peu à s’ennuyer avec les premiers délégués asiatiques, ceux de Hong Kong  de Taiwan ou de Corée du sud (le délégué de Corée du Nord n’avait pas pu faire le déplacement), qui avaient, il faut le reconnaître, des résultats plutôt maigres. C’est alors que le secrétaire général annonça la délégation chinoise. Le rapport  global des représentants de la République Populaire fut  le clou de l’assemblée générale.
Dans un vacarme indicible, devant une assistance en délire, ils montrèrent les diagrammes les plus extraordinaires, dépassant toutes les prévisions. Les Power point se succédaient, les bâtonnets des statistiques dépassaient même parfois  les limites des tableaux. 

Et quand ce fut le tour des  délégués régionaux de Wu Han, invités sur la tribune comme hôtes exceptionnels, la folie  fut à son comble. La foule scandait « Wu Han, Wu Han » comme un refrain.  On était à la limite du délire collectif et le secrétaire général eut toutes les peines à ramener le calme.
La suite fut une formalité : on réélit à l’unanimité le comité directif. Ce fut un peu long car l’assistance était extrêmement nombreuse, on n’avait pas vu autant de monde depuis  2003 et 2013, années, faut-il le rappeler,  qui avaient vu s’enclencher  la  nouvelle stratégie d’entreprise dont on recueillait les fruits aujourd’hui. 

Le secrétaire général remercia la foule de le soutenir dans son action. Il promit de nouveaux développements, des investissements à long terme dont on ne pouvait pas encore mesurer les retombées. 

L’assemblée se terminait, les délégués s’éloignaient, joyeux des perspectives futures qui se dessinaient devant eux, mais en même temps un peu tristes de devoir se séparer pour ne se revoir que dans un an, à l’assemblée générale de Covid 20,  c’est le nom qu’avait choisi, sans grande originalité, le comité exécutif. 

©  Patricius 
mai 2020