Insouciants, consommant, voyageant et surtout râlant comme toujours, ils ne réalisèrent pas tout de suite qu'un grand voile noir s'était étendu sur le monde, sur leur monde.
Peu à peu ils prirent conscience de la gravité de la situation.
Etait-ce cela l'apocalypse ?
Les champs d'action se réduisirent, jusqu'à ce qu'ils soient obligés de rester confinés dans leur lieu de résidence.
Certains, ne se plièrent pas tout de suite aux exigences, se voulant libres "à tout prix". Seule la peur du gendarme les rendirent un peu plus raisonnables.
Les premiers jours la cohabitation fut un peu difficile, puis les familles s'organisèrent.
Les parents toujours pressés, stressés, courant du matin au soir à ce qu'ils pensaient être primordial, firent une pause. Les enfants les plus grands, souvent enfermés dans leur chambre afin de se connecter avec les copains, rejoignirent la famille au salon. Comme rien ne se passait, ils n'avaient plus grand chose à raconter à leurs amis. Les relations parents enfants se transformèrent.
Les papas prirent le temps de faire lire les plus petits, de leur raconter des histoires. Les mamans reprirent le goût à cuisiner de bons petits plats et bientôt chacun à sa façon participa à la répartition des tâches de la maison.
Ils repeignirent quelques petits meubles, changèrent la disposition de certaines pièces, firent du bricolage, clouant, redressant telle ou telle étagère, bancale depuis des mois. Tous ces petits travaux ayant été reportés de semaine en semaine. Mais cela c'était "avant".
Les repas durèrent plus longtemps, chacun échangeant des idées partagées dans une ambiance sereine.
Les jeux de société, remisés au fond d'une armoire, reprirent leur place afin d'offrir des moments conviviaux aux participants.
Ils trièrent les photos de vacances, reparlant des instants heureux ou cocasses, écoutèrent de la musique, choisirent de vieux film à la télé ou des documentaires parlant de voyages ou de thèmes intéressants.
Les enfants demandaient à leurs parents de leur conseiller des livres, figurant dans la bibliothèque imposante, mais trop souvent plus décorative qu'utile. La Peste de Camus à lire ou ne pas lire ?
Le suivi du parcours scolaire ne fut pas laissé de côté. Chacun à sa façon participa à ce que les cours et recommandations envoyés, par internet, par les professeurs, soient bien suivis. Les plus petits lurent, comptèrent, écrivirent, mais bien souvent non pas comme une obligation, mais de façon ludique.
De par les informations, les gens surent que peu d'améliorations se faisaient sentir. Tous les pays étaient touchés. Situation surréaliste restant pour beaucoup un grand mystère.
Cela dura des semaines. Bien que l'avenir soit très incertain, le point positif fut que les familles se retrouvèrent, apprirent à vivre ensemble, et non chacun dans sa petite sphère. Les parents prirent le temps de renouer des contacts avec des amis qu'ils avaient négligés depuis plusieurs mois, de prendre régulièrement des nouvelles de leurs parents et du reste de leur famille, côté positif de la télé communication.
Le temps du muguet fut ignoré. Les jolies petites clochettes blanches, destinées à porter chance étaient restées au fond des bois, ou se fanèrent sur les étals de quelques revendeurs qui bravèrent les interdits.
Enfin, au bout de quelques mois, la lumière apparut au bout du tunnel.
Peu à peu les personnes sortirent de chez elles. Certains affirmèrent qu'ils avaient vécu en sauvage.
D'autres, au contraire, surent que plus jamais ce serait comme "avant". Ils prirent conscience de leur vulnérabilité.
De par la surinformation par les médias et les réseaux sociaux, les nouvelles allaient tellement vite qu'elles perdaient de leur importance : tsunami, attentats, guerres aux portes de l'orient et en Afrique, famine, inondations, etc. Tout le monde en parlait pendant quelques jours et un nouveau scoop balayait le précédent.
Paradoxalement, en vivant repliés sur eux-mêmes, ils apprirent à être attentifs, à ne pas penser qu'à leur petite personne, à devenir solidaires.
A nouveau, ils allaient pouvoir s'enlacer, mais pas question de papillonner.
Après le temps des cerises, ce fut le temps des blés murs et des coquelicots, qui embellirent nos campagnes.
Ils surent que la façon dont ils avaient vécu jusqu'à ce jour ne devait pas recommencer. Ils prirent de belles et grandes résolutions.
L'histoire ne dit pas si elles furent tenues.
© Jeanine R.