L'ennemi

L’ennemi fut défini en quelques mots : inaudible, invisible, impalpable, inodore. Un tueur silencieux et sauvage.
Qu’à cela ne tienne. L’ordre fut donné à chacun de rester chez soi.  Ordre exécuté docilement dans notre petite collocation à trois générations.
Ni les astres ni la nature n’obtempérèrent cependant. Le soleil sortait à tout moment et les primevères pointèrent leur nez, comme si de rien n’était. Même pas peur, murmuraient –elles. On profite de la lumière
La grand-mère fit son sac de voyage : livres, quelques vêtements immettables pour sortir, un poste de radio, des livres, de quoi écrire, des livres et des pastilles pour la gorge. Et des livres encore. Puis elle s’installa dans la seule chambrette restée libre, sous le velux. 
La question fut immédiate : « Comment occuper l’enfant ? » Le toboggan installé à l’étage se révéla précieux. Les descentes se firent de plus en plus rapides, sur le dos, sur le ventre, la tête la première… jusqu’à épuisement. 
Puis on passa au vélo, tours de piste de plus en plus adroits, en rasant les chaises, en frôlant les meubles, sans regarder devant. Il n’y eu pas d’accidents, juste quelques fins de courses un peu brusques. 
Alors on sortit les ballons, et on les gonfla. Ce n’était jamais assez, encore un rouge, encore un bleu… Puis les crayons de couleurs, le tambour, les tampons et la pâte à modeler. 
Le grand père ne put résister à l’envie d’aller acheter le journal. Au café de dix heures on se partagea les feuilles.  Des titres stupéfiants, des photos de visages masqués, des nombres de victimes croissant de jour en jour. Et quelques bonnes nouvelles : pollution en voie de disparition dans le ciel des grandes villes, pas d’accidents de la circulation, entr’aide accrue entre citoyens. 
Puis il remisa ses outils de bricolage et sortit le livre de cuisine : lapin chasseur, mystère aux noisettes, mousse au chocolat… Ce n’était pas le moment de se mettre à un régime déprimant à base de crudités à ronger. La vaisselle faite, il prit l’habitude de se réfugier dans sa garçonnière et fit une cure de journaux télévisés et de vieux films. 
Après quelques semaines …
On finit par apercevoir le bout du tunnel. L’apocalypse annoncée n’avait pas eu lieu.  On put à nouveau s’enlacer sans risque en allant au muguet.  Le grand père put s’incrire à un coucours de cuisine. L’enfant avait appris des chansons  et savait articuler des mots comme « coquelicot, ou papillonner »,  on découvrit des jolis petits dessins et traces de tampons  ça et là dans la maison.

Et bien sûr la grand-mère, comme d’habitude, écrivit son texte à la date limite. 

©  Marie-Claire