D’abord passé inaperçu, l’ourson bien abîmé avait fini par attirer l’attention de deux agents au retour de leur ronde. Mais que pouvait bien faire cet ours en peluche râpé, crasseux, abandonné sur les marches du commissariat de police de Champagnole ?
Dans un premier temps ils n’avaient pas osé le toucher, suspectant un colis piégé. Les choses avaient rapidement pris une tournure sérieuse car le commissariat était régulièrement victime de représailles de la part d’une population qui s’estimait discriminée lors des contrôles fréquents effectués aux alentours. Les cancans allant bon train, la ville s’était retrouvée en ébullition, les journaux en parlaient faisant monter la pression au sein de la population avide de faits divers. Il faut bien reconnaître que dans nos petites villes de province un rien se transforme en affaire d’état !
Les agents de police s’étaient mis en mode « orsec » sécurisant les abords avec des barrières de protection à 10 mètres, agents armés montant la garde pour protéger l’entrée. Des enquêteurs se serraient dans les locaux remplissant des feuilles de blocs notes de détails circonstanciés.
On interrogeait les voisins, d’éventuels témoins, des enfants même susceptibles de reconnaître ce jouet.
Passé à tous les détecteurs possibles le pauvre nounours semblait au plus bas et on voyait bien que les policiers cachaient leur émotion sous le discours rugueux d’une sécheresse professionnelle. Ils en avaient vu des faits divers sordides, des affaires de mœurs surtout, des gardes à vue d’ivrogne, de camés et de petits caïds en puissance tout juste sortis des jupes de leurs mères. Mais là, ils en étaient toujours à se gratter la tête.
Une idée lumineuse cependant avait germé dans la tête du brigadier. Une femme, pourquoi pas ? Mélanie Cachot qui s’occupe d’une antenne UNICEF dans la région, organise chaque année une collecte de jouets pour Noël. Elle doit s’y connaître mieux que nous en ours en peluche.
C’est là qu’elle les avait tous scotchés d’entrée. Prenant le nounours délicatement elle s’était mise à le caresser avec des gestes de tendresse maternelle, tout en le regardant sous tous les angles. Très vite, elle avait observé qu’un peu de laine compacte s’échappait sous le bras droit.
-- Et ça, vous l’aviez remarqué ?
-- Non, pourtant cet ours en a vu de toutes les couleurs, il est passé dans les mains des experts en produits dangereux. Rien n’a été détecté.
-- Oui mais là, vous n’étiez pas allé voir de plus près ?
Soulevant délicatement le bras de l’ourson, Mélanie avait inspecté l’aisselle qui laissait apparaître une couture ouverte sur quelques centimètres. En introduisant son index, elle avait découvert un trou minuscule qui semblait obstrué par une boule de papier griffonnée. On distinguait à peine une sorte de point d’exclamation rouge aux traits mal assurés, recopié sans doute sur des affichettes posées ici et là sur des objets dangereux. Puis trois lettres à peine lisibles,
p a t.
Personne n’en revenait, un message de détresse glissé dans ce jouet tout crasseux. Qui avait bien pu le déposer là pour alerter sur son sort ?
Vu l’écriture, l’enfant était très jeune, et ne devait pas vivre très loin d’ici.
Les recherches auprès des familles proches avaient très vite permis d’identifier la propriétaire de l’ourson.
C’était Patricia qui vivait seule avec sa mère. Elle passait ses journées entières à la maison à attendre son retour du travail. Personne à qui parler, seul le ronron de la télévision et les programmes de Disney Chanel lui tenaient compagnie. Dans un coin du salon, Mélanie avait découvert un pot de bébé, une assiette de purée, un verre d’eau et un petit pain au lait à moitié grignoté.
Comme tant d’autres fois, personne ne s’était douté de rien. Ni les voisins, ni l’assistance sociale du quartier. Seule l’imagination d’une fillette de cinq ans avait pu la tirer d’une situation sordide.
© Misha, avril 2020
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