Dépêche
(cf. France Soir)
(cf. France Soir)
Le lundi 20 avril dernier, à Champagnole, cœur du Jura, un ours en peluche, posé devant la porte d’un immeuble abritant les services de la police, a semé la panique : les employés ont cru à une bombe.
Arrivant à leur bureau, les employés ont eu la surprise de découvrir un ours en peluche posé devant la porte de l’immeuble où ils travaillent.
Une équipe de déminage a été appelée. L’immeuble a été évacué ainsi que le parking, mais une observation de la peluche aux rayons X a démontré que l’ours était en réalité tout à fait inoffensif ( !) et ne contenait pas de matériel explosif. (Certes)
Une équipe de déminage a été appelée. L’immeuble a été évacué ainsi que le parking, mais une observation de la peluche aux rayons X a démontré que l’ours était en réalité tout à fait inoffensif ( !) et ne contenait pas de matériel explosif. (Certes)
Corleone (Sicile), mardi 21 avril 2020.
Don Calogero le regarda des pieds à la tête. Le picciottu (garçon) avait l’air satisfaisant. Si lu Zi’ Tanu l’avait choisi, on devait pouvoir lui faire confiance.
« C’est donc toi, Sasà ? (Diminutif de Rosario)
-Oui, patron.
-Tu sais ce que tu dois faire ?
-Non, patron.
-Aller chercher un ours. »
Le ton ne souffrait pas de réplique. Bien qu’embauché par la famille (groupe mafieux) depuis quelque temps déjà, Sasà se demandait ce que signifiait « ours » dans le code des hommes d’honneur (mafieux). Mais il n’était pas question d’indisposer Don Calogero par des interrogations superflues.
-Ok boss. »
Sasà était prêt à partir sur le champ : « Baciu li mani, Don Calò... » (Formule de salut, je vous baise les mains)
Il osa cependant : « Ma unni lo trovu, st’ orsu ? (mais je le trouve où, cet ours ?) »
Le boss articula lentement et pointa le doigt vers le ciel : « Lassù. (Là-haut).
Sasà suivit l’index du boss, mais ne remarqua rien de spécial dans l’azur du printemps. Don Calogero restait impassible. Le garçon comprit enfin.
-Lassù ? À Naples ? Sasà n’ignorait pas qu’il y avait des ours dans les montagnes des Abruzzes, mais dans les rues de Naples, cela lui semblait étrange.
-Cchiù su. (Plus haut). Nouveau geste du boss indiquant un point quelque part dans le silence éternel des espaces infinis.
Sasà tressaillit. Il sentait déjà le froid l’engourdir, lui qui n’avait jamais dépassé Reggio di Calabria !
-Pas à Rome, quand même ? (Peut-être au zoo municipal, songea le garçon ?)
-Encore plus haut !
Sasà éprouvait des frissons glacés. Il esquissa un timide :
-Milano ?
Don Calogero fit encore non de la tête... Sasà s’imagina sur la banquise parcourue par le blizzard, déguisé en esquimau, en train de chasser l’ours blanc... Des sueurs froides lui coulaient dans le dos.
-Francia !
Le picciottu se sentit un peu rasséréné : il risqua : Nizza ? (Nice)
-No !
Il eut un bref instant de joie, rêvant de French cancan et jolies demoiselles et hasarda :
-Parigi ?
-No ! Champagnole.
Sasà respira plus légèrement.
-Ottimu vinu lu Champagne... (Excellent vin le champagne).
Le picciottu se détendit. Il se voyait dans une cave à déguster quelque Don Perrignon. (Non, ce n’était pas un ancêtre de Don Calogero).
-Minchione (crétin), j’ai dit Champagnole, pas Champagne ! »
Don Calogero s’impatientait. Il congédia brutalement le garçon : « Mò, vai, nun rumpiri la minchia ! » (Maintenant, va-t’en, tu commences à me les casser)
Don Calò n’est pas toujours très poli se dit intérieurement Sasà. Il valait mieux ne pas insister.
-Va voir lu Zi’ Tanu, il te donnera tes instructions !
Lu Zi’ Tanu expliqua à Sasà qu’il s’agissait d’un nounours en peluche malencontreusement égaré. On savait juste qu’il avait disparu du côté de la petite ville de Champagnole. Il fallait enquêter le plus discrètement possible et le retrouver rapidement, sinon...
Qu’était devenu le picciottu qui avait commis l’erreur funeste « d’égarer » le nounours ? Nul ne le sait. De même qu’il serait sans doute trop long et fastidieux d’expliquer à nos lecteurs par quelle voie mystérieuse le fameux jouet avait échoué dans le Jura pour être abandonné quelque part le long de la nationale 5.
Le 24 avril, Sasà débarquait sur le quai de la gare de Champagnole. Comment avait-il pu traverser les frontières, prendre un vol jusqu’à Lyon, puis emprunter différents trains ? On ne sait mais la pieuvre a des ramifications insoupçonnées sur lesquelles il est préférable de jeter un voile pudique (Le voile est toujours pudique, dans ces cas-là !)
Sasà était un peu perdu, il faut l’avouer. À la gare, personne à qui s’adresser. De toute façon il ne parlait pas un mot de français. Il sortit dans la rue. Il faisait beau et chaud et le garçon transpirait à grosses gouttes dans son équipement de haute montagne. Bonnet de laine, lunettes de glacier, écharpe, grosse doudoune et après-ski !
Les rares passants le regardaient avec jalousie, se disant que ce garçon avait bien compris comment il fallait se protéger du virus, eux qui ne possédaient que de malheureux masques confectionnés à la maison. Ces regards envieux achevaient de décontenancer Sasà.
Il tenta de héler un enfant qui passait sur sa trottinette : « Vidisti un orsachiottu de pelusc ? »(Tu as vu un ours en peluche ?) Le gamin accéléra.
Il réitéra sa demande sans obtenir de réponse jusqu’à ce qu’il aperçoive une dame déjà un peu âgée assise sur un banc. Elle avait sa carte d’identité et son autorisation en poche, « Déplacements brefs à proximité du domicile etc... mais se reposait bien légitimement au terme de sa promenade, au risque de prendre une amende de 131 €.» Elle semblait douce et affable.
Elle le regarda venir avec un sourire aux lèvres. Il lui posa sa question, elle ne comprit pas grand-chose sauf le mot « pélouche ».
La dame avait bien évidemment entendu parler de l’histoire de l’ours en peluche déposé devant le bureau de la police municipale et de l’émoi qu’avait suscité cet événement. Elle imagina que ce devait être le propriétaire de la peluche qui voulait la récupérer pour la rendre à l’enfant qui l’avait perdue. Elle s’offrit à l’accompagner. Pendant le bref trajet jusqu’au centre-ville, elle finit par comprendre qu’il était italien ; elle-même connaissait quelques mots de sa langue.
Quand elle prononça les mots « police municipale », elle sentit que le garçon devenait nerveux. Il regardait partout autour de lui et ne cessait de porter sa main sous son aisselle gauche, comme s’il avait des palpitations cardiaques.
Mais dans le bureau tout se passa pour le mieux. Le chef de la police locale était absent en ce moment, parti à l’improviste, la veille, pour se rendre auprès d’un proche tombé malade subitement, quelque part en Amérique du Sud. Il avait pu bénéficier d’une autorisation exceptionnelle pour prendre l’avion en raison de motifs sanitaires prioritaires. Ce fut donc une subordonnée qui les accueillit.
Avec l’aide de la dame serviable Sasà réussit à expliquer que le jouet appartenait à sa nièce de quatre ans qui l’avait laissé tomber par la fenêtre de la voiture de ses parents venus en vacances dans la région. Quelqu’un l’avait sans doute ramassé et déposé devant la porte de la police municipale.
La dame s’étonna que l’on pût circuler aussi aisément en période de confinement. La policière haussa les épaules. « Certains échappent aux contrôles. La police ne peut être partout.
-Et ce jeune homme, vous ne lui demandez pas ses papiers ?
-Inutile, un garçon qui vient rechercher le doudou perdu par un enfant, c’est un cas de force majeure ! »
On ne fit donc aucune difficulté pour remettre l’ours à l’oncle de la propriétaire légitime de l’animal. La peluche avait été quelque peu détériorée, sans doute à cause de la chute de la voiture, il avait fallu le recoudre dans le dos.
Sasà remercia la dame et la policière et retourna à la gare, serrant précieusement le nounours contre lui.
Le garçon rentra sans encombre à Corleone le 27 avril et remit dès son arrivée le jouet à Don Calogero qui aussitôt fit sauter la couture du dos du nounours et secoua la peluche d’où s’écoula une poudre blanche. Don Calò fit une moue dubitative, recueillit sur son doigt un peu de cette substance, la porta à son nez, puis la goûta.
« Zuccheru è ! » (C’est du sucre) hurla-t-il, les yeux injectés de sang.
Il est légitime d’estimer que la carrière de Sasà subit un sérieux coup d’arrêt.
La police municipale de Champagnole reçut peu après une carte postale représentant une magnifique plage tropicale, portant ces simples mots : From Acapulco with love. Signé Teddy Bear. La policière reconnut sans peine les initiales de son chef, Théophraste Biroulet.
Elle comprit le message dont ils étaient convenus. Dès qu’elle le pourrait, elle prendrait le premier avion pour le rejoindre.
Don Calogero ne fut heureusement pas informé des développements ultérieurs de cette affaire.
© Patricius