(Suite de Courage Fuyons)
Sa vie s'écoulait tranquillement. Il avait appris à dompter le fleuve. Il se tenait à proximité et parfois lui parlait. Le centre ville, il ne s'y était aventuré qu'une ou deux fois, pour des démarches administratives obligatoires, mais sans jamais s'attarder.
Aujourd'hui relâche. Sa décision est prise. Il doit affronter la vérité, connaître ses réactions en reprenant contact avec les commerces, les grandes avenues, les voitures, la faune citadine, etc.
Voilà, c'est fait. Il aborde d'un pas tranquille l'avenue principale. Son nom... Peu importe. Inutile de le retenir, il a changé tellement souvent au fil des
périodes mouvementées selon les gouvernants en place.
Il flâne et se surprend à faire du lèche-vitrine. De belles boutiques de prêt à porter, des bijouteries, maroquineries, des magasins de meubles présentant des modèles aux lignes modernes, mais aussi d'autres respectant les traditions locales, dans des bois précieux. Il regarde avec intérêt et apprécie.
Il constate, qu'il n'y a plus en lui cette frénésie d'acheter, d'acheter en suivant un besoin compulsif, parce que c'est à la mode, parce que cela lui plait, parce qu'il veut épater les copains. Facile quant on a une situation aisée, qu'il suffit de sortir sa carte "gold". Il repense à tout cela en souriant ironiquement. Il s'aperçoit, à la fois étonné et satisfait, qu'il est guéri, que la société de consommation, provoquant des besoins souvent non nécessaires, est loin derrière lui. Il a vu. Il a découvert un autre monde et cela le satisfait.
Il arrive à la hauteur d'un palace, lorsqu'une personne descend, d'un pas rapide, les quelques marches donnant sur le trottoir. Ils se trouvent tous deux à même hauteur, lorsque l'individu, s'écrie :
- Mais c'est bien toi. Tout le monde se demandait où tu étais passé. Qu'est ce que tu fais ici ? J'ai quelques instants devant moi, allons prendre un verre.
A peine assis dans un bar climatisé, il reprend.
- Tu sais j'ai changé de boite. D'où ma présence ici pour traiter quelques marchés. Suite à la crise je suis bien retombé sur mes pieds. A présent je travaille dans une multi nationale et je suis plus souvent dans les avions que chez moi. Je passe mes journées en rendez-vous et je n'ai même pas le temps de visiter les pays dans lesquels je me rends.
Si je m'étais vêtu comme tous les jours d'un pantalon en toile légère et d'une chemisette, il ne m'aurait peut être pas reconnu. Bien fait pour toi, tu as voulu jouer au citadin, en ressortant un de tes pantalons "d'avant" et une chemise blanche.
- Tu n'étais pas là pour le voir, mais la période de confinement n'a pas été évidente pour tout le monde. Tu te souviens de Catherine et François. Ils n'ont pas tenu le choc. Ils ont divorcé.
Surtout ne rien laisser voir. Faire semblant de le regarder. Sourire niaisement. Hocher la tête de temps à autre. Il ne s'apercevra de rien. Lui donner l'impression de boire ses paroles.
- Moi, tu sais je suis toujours célibataire. J'aime trop ma liberté. Une aventure par ci, par là, sans plus. Ah, à ce sujet tu connaissais aussi Christophe et Chloé, et bien eux ils ont fini par se marier. Depuis le temps que leur histoire durait.
C'est bien ma chance, il a fallu que je tombe sur lui. Il n'a pas changé toujours aussi bavard, imbu de lui-même. Etais-je ainsi ?
- Dommage que tu n'étais plus là, car il y avait de belles affaires à réaliser. Pas mal de personnes se sont retrouvées sur la paille et cédaient leurs biens pour une bouchée de pain. D'un autre côté cela a été bénéfique pour les petits artisans, car les acheteurs en ont profité pour refaire quelques travaux afin de personnaliser leur nouvelle demeure.
J'aimerais lui poser quelques questions. La situation après confinement s'est-elle traduite par une attention plus grande à l'écologie ? La notion de partage s'est-elle développée ? Le monde entier a-t-il pris conscience de sa vulnérabilité ? Mais je me tais.
- Cette crise a généré un peu plus de chômeurs et ce dans le monde entier.
Contrairement aux Etats-Unis, les soins ont été pris en charge par la "Sécu" dont je ne te dis pas la profondeur du gouffre.
Bon, j'espère que cela ne va pas durer des heures, car j'ai à faire. Aller à la librairie, trouver une boutique pour acheter quelques pinceaux et des blocs de papier à dessiner, faire un petit tour à la bibliothèque, passer à la banque avant de faire mes achats.
Continuer à hocher la tête. Surtout ne pas lui laisser le temps de me poser des questions.
- La période de confinement terminée, nous avons voulu faire une grande fiesta. Je ne sais pas pourquoi, beaucoup n'ont pas répondu présents. Encore traumatisés, se posant des questions sur l'avenir, ils n'avaient pas vraiment le cœur à la fête. Moi, au contraire je n'avais qu'une seule envie profiter de la vie sans me préoccuper du futur et de tous ceux laissés sur le "carreau".
Je n'en peux plus de son discours. De plus, la clim m'indispose. J'ai presque froid. Difficile de me souvenir de ma difficulté à supporter la chaleur au début de mon séjour.
Puis, il regarde sa montre.
- Oh, excuse moi il faut que je me dépêche sinon je vais être en retard à mon rendez-vous. Content de t'avoir revu. Tiens voilà ma carte. Donne nous de tes nouvelles de temps à autre. Je n'ai même pas eu le temps de te demander ce que tu faisais.