Courage, fuyons...

Un ennemi invisible avait déclaré la guerre à toute l'Europe, un virus importé d'Asie. On parlait de pandémie.
Des bruits couraient. Bientôt l'ensemble de la population serait confinée. 

Nombreux étaient ceux qui niaient la dangerosité de la situation. Insouciants, continuant à se regrouper, même à se faire des accolades, voir à s'embrasser, défiant le sort. S'ils avaient vécu au temps des épidémies de la peste ou du choléra, ils auraient pu voir les dégâts causés sur leur entourage. Mais là, rien. Une petite toux, un peu de fièvre, un petit séjour à l'hôpital où des personnes, mais déjà malades, n'en ressortiraient pas vivantes.
Lui, ne pouvait pas supporter l'idée d'être confiné. Il tenait trop à sa liberté.  

Des frontières commençaient à se fermer.   
D'autres rumeurs disaient, que ce virus, dont il ne faisait même pas l'effort de  retenir le nom, n'aimait pas la chaleur. Il ne mit pas longtemps à prendre sa décision. Il partirait.

Courage fuyons...

Il se renseigna. Il y avait encore quelques vols à destination de l'Afrique. Il choisit un pays au plus près de l'Equateur car il devait y faire plus chaud. Dans son bureau, il retrouva un papier à en tête d'une de ses anciennes sociétés, et il rédigea une autorisation de sortie du territoire pour raisons professionnelles.  Afin de ne pas attirer l'attention, il se munit d'un bagage léger. Juste le strict nécessaire. Nous n'allions tout de même pas être confinés pendant des semaines, et dès que possible il reviendrait.  

Vol sans problème. Il sirote un whisky, plaisantant avec les stewards, moins souriants que d'habitude. Ils ont l'air un peu tendu. 

A la descente de l'avion une chaleur étouffante le saisit. Il aperçoit beaucoup de militaires en treillis, munis de fusils imposants. Dès qu'il met les pieds sur le tarmac, il  doit se mettre dans une file. Immédiatement, il remarque que d'un côté il y a les Africains, de l'autre les "Blancs". Chaque groupe monte dans un bus différent. Dans l'aéroport il est installé dans une salle sans aucune explication.

Ses papiers ont été saisis. Il est appelé à un bureau et interrogé par une personne, posant de multiples questions. Il ne peut même pas s'asseoir. Ses réponses sont notées sur une feuille blanche. 

Nom, prénom, date et lieu de naissance, adresse, nationalité, pays d'origine, motif de sa venue en Afrique, a t-il un endroit où résider, etc. etc.

Il essaye de rester serein, mais l'attitude de son interlocuteur et la chaleur commencent à l'indisposer.  
- Allez vous asseoir, au suivant.

L'attente est interminable. 

Les interrogatoires terminés, un autre militaire prend la parole :
- Vous venez tous de pays contaminés ; on ignore ce que vous venez faire chez nous. Vous allez être mis en quarantaine. Nous gardons vos passeports, ainsi aucun d'entre vous aura l'idée de s'échapper.
Avant de sortir de la salle, un bracelet vert, en plastique, portant un n°, dont il ignore la signification est fixé à son poignet.

Tous se taisent. Un bus les transporte dans un bungalow en préfabriqué dans lequel, ils découvrent, plusieurs dortoirs, composés chacun d'une dizaine de lits de camp. C'est là qu'ils dormiront. Il n'ont pas le droit de sortir et sont surveillés jours et nuits. 

Une seule information : "Vous allez rester ici quarante jours, après nous aviserons. Tous les vols sont à présent interrompus, sinon on vous aurait mis immédiatement dans un charter".  

Il croit rêver. Ce n'est pas possible. Ce n'est qu'un cauchemar.   
Non. Il constate avec amertume, que c'est la réalité. IL s'étend sur son lit, du moins ce qui semble en être un.
Il essaye de se remémorer ces dernières semaines avant cette idée saugrenue de s'échapper.

Il s'était amouraché d'une jolie brunette. Il aurait bien fait un petit bout de chemin avec elle, mais il est parti comme un voleur, et il ne l'a même pas informée de ses intentions. Elle doit se demander où il est passé. 

La quarantaine lui semble durer des mois interminables. La chaleur, le manque de confort, la nourriture substantielle, ses habits fripés, lui ont fait perdre toute sa superbe.

Enfin la porte s'ouvre, mais c'est pour s'entendre dire qu'il faut qu'il se débrouille comme il peut. Ses papiers ne lui sont pas rendus, son bracelet est toujours à son poignet, titre se séjour provisoire. 

Il erre dans la ville. Il s'aperçoit qu'à son approche les gens s'éloignent de lui. Est-ce la couleur de sa peau ou son allure négligée ? Ses pas le conduisent au bord d'un grand fleuve sur lequel naviguent des embarcations légères. Des hommes, des enfants, jettent et relèvent des grands filets de pêche. Il remarque, assis auprès de sa barque un homme d'un certain âge remaillant un filet. Il s'approche et essaye d'entamer une conversation.  

Il demande si l'embouchure de ce fleuve est loin et si il y a un port. Faute d'avion, peut-être pourrait-il prendre un bateau ? 

Après un moment de réflexion le pêcheur lui répond : "Si vous voulez je peux vous conduire jusqu'à l'embarcadère le plu proche, moyennant un petit pourboire. Vous ne serez pas tout seul. D'autres personnes ont fait la même demande.  Départ demain matin 7 h. Le voyage durera toute la journée" 

Jamais, il ne lui était venu à l'esprit qu'un jour il ferait du covoiturage à bord d'une embarcation qui lui paraissait bien fragile.  

Le soir suivant, ils atteignirent un estuaire très imposant. Peu de mots avaient été échangés lors de singulier voyage. Seuls le bruit des rames et le murmure des feuilles de grands arbres situés sur la rive, les tenaient éveillés.

Ils furent déposés sur une petite anse d'où ils entrevirent des docks imposants.

- Si vous voulez trouver du travail c'est possible, mais en tant que "migrants" vous ne serez pas déclarés et payés "au blanc". (pardon pour le lapsus)

Dépités, ils se séparèrent rapidement et partirent chacun de leur côté. Aucun sens de la solidarité.

Il entra dans un débit de boisson fréquenté par les gens du port. La pièce était très sombre, beaucoup de bruits et une musique assourdissante.  

Etait-ce la fatigue du voyage, le contrecoup de tout ce qu'il avait subi ces dernières semaines, mais il ne se sentait pas très bien. Une légère torpeur s'empara de lui, puis plus rien.

Lorsqu'il se réveilla dans le lit d'une infirmerie, il eut la sensation de sortir d'un profond sommeil.
Peu à peu il reprit contact avec la réalité.
Un médecin entra.

- Ah ! enfin vous êtes réveillé. C'est que tout va bien. Ne vous en faites pas vous avez seulement la malaria...